[Confédération][3] Semper et Ubique
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction , Action
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 20
Publié le 16/11/13 à 11:36:49 par Gregor
5.
Flinn avait oublié l'odeur du béton brûlé. Cette odeur à la fois douce et amère, aux relents de cuir, de métal vieilli et d'une légère – presque inexistante – note d'épice qui nappait l'air comme un sirop épais et gluant. Le soleil luisait, quelques centimètres au dessus de l'horizon, dans une torpeur turbide que ne ménageaient pas les réacteurs vrombissant d'un appareil au décollage. Il observa la machine s'élever dans les airs en ne bougeant pas d'un cil, fasciné malgré l'habitude, frappé par le miracle de la technologie qui arrachait loin du sol un équipage en direction de l'espace. « Il n'y a pas si longtemps, c'était moi, là haut, à leur place ». Une pensée étrange, qui le dérangeait autant qu'elle le rassurait.
La nuit, déjà, chassait l'odeur et la chaleur du jour. Une ombre s'étirait docilement, celle d'un mat de transmission qui venait à caresser la surface mat d'un hangar ouvert sur le sable du désert. Un ballet silencieux, éternel, qui ne cessa qu'à la chute complète de l'astre dans les tréfonds de l'horizon rougi par son aura. Une impression de mystère, à nouveau, étreignit Flinn, qui patientait et se réjouissait de l'attente que lui imposait le débarquement de ses hommes. Comme si le temps, tellement précieux, avait donné ses largesse à l'officier pour qu'il jouisse d'un instant étiré à une poignée de minutes, lui permettant de prendre les plus belles et les plus simples photographies mentales qu'il lui ait été donné d'observer. L'astroport de Civimundi-Sud n'avait qu'une banalité fade à offrir, un mélange haché de sable, de béton et d'acier s'affrontant sur un territoire qui, doucement, se desséchait. Il éprouvait avec difficulté ce qui s'était tenu là avant. Une « banlieue », des immeubles, des maisons, des magasins et des routes, le tout posé comme par la main distraite d'une puissance divine, aléatoire ordonnancement qui ruisselait d'une beauté et d'une utilité particulière. « Comment faisaient les Hommes avant ? ». Une question qui souvent revenait le hanter, lui qui n'avait qu'une très vague idée de l'histoire humaine et toute la période précédant l'hégémonie de la Confédération.
- Mon commandant ?
- Oui, Guillhem ?
- Mon commandant, ne croyez-vous pas que nous aurions dû faire … autrement ?
- Par rapport à quoi ?
- A l'amiral Trent, au rapatriement, à la chute de Port-Kristian, à … à tout ce qui vient de se passer.
Flinn se retourna, croisa les bras, et toisa son subalterne d'un œil sec. Guillhem, drapé dans une splendide cape d'apparat, perdit pourtant de sa superbe à la vue du visage dur de l'officier.
- Attendez un peu que le Très Saint Magister rectifie tout cela. Si Trent a fauté, il sera puni, et nous serons remis à la place qui nous convient.
- Mais, mon commandant...
- Il suffit.
Flinn n'avait pas haussé le ton de sa voix. La façon brute avec laquelle il avait prononcé ces simples mots coupa toute envie à Guillhem de continuer son argumentaire. Arrivé sur Terre depuis quelques minutes à peine, il souhaitait déjà que l'injustice manifeste dont il avait été victime soit jugé. Un point de vue, qui, visiblement, agaçait Flinn.
- Je sais très bien ce qu'il s'est passé et je vois très bien où tu veux en venir, reprit Flinn. Tu as parfaitement accompli ta mission, et comme je te l'ai promis, tu auras ce que tu mérites. Quant à ce qui m'attend, cela ne regarde que moi.
Prudent, Guillhem eut la sagesse de ne pas répondre. Il hocha la tête, et à son tour, se laissa surprendre par la beauté linéaire du paysage. Dans le grondement des appareils, la voix de chacun des Externes semblaient assourdie. Il reconnaissait pourtant à merveille le timbre de chacun. Seul dans un premier temps, l'adjudant sentit à ses cotés la présence ferme et rassurante de Randir. Le Naneyë s’éclaircit la gorge, forçant Guillhem à se retourner.
- J'ai tout suivi.
- De la conversation ?
- Oui, confirma Randir. Tu as cru bien faire, et c'est tout à ton honneur. Mais je ne suis pas persuadé que cela soit la bonne manière de faire entendre ton point de vue sur le sujet.
- Et vous comptez me faire la morale ?
L'agressivité de Guillhem l'incita à simplement hausser les épaules, et à s'éloigner. « Que me veulent-ils tous ? Nous nous sommes battus et nous n'aurons rien, c'est cela, notre récompense ? » . Il était malade à cet simple idée. Personne ne semblait s'apercevoir de la mascarade, ou du moins, chacun préférait abdiquer face à l'égo de Trent, sûr de son bon droit sur l'Ankara. Aussi, quand l'adjudant aperçu l'amiral surgir de la fumée enveloppant la navette, il choisit de s'éloigner pour ne pas entendre les sarcasmes de l'officier envers Flinn.
Le sourire étincelant de Gustav Trent semblait adresser à Flinn un parfait message d'avertissement. Un sourire de surface qui dévoilait une dentition parfaite, quatre minuscules canines sur des gencives grisâtres, loin des crocs long comme un pouce humain qui siégeait dans la gueule du Naneyë. Une invitation à la complaisance pour mieux mordre l'appétit de pouvoir qui dévorait les viscères du commandant, sagement remis à sa place par l'homme qui avait daigné le transporter, lui et ses hommes, vers une mission dont il s'apprêtait à tirer tout le prestige.
La solennité de l’événement à venir avait contraint, dans une obligation agréablement complaisante, l'amiral Trent à se vêtir d'une armure d'apparat et d'une cape dont le tissu flamboyait au soleil couchant. Les chevrons du haut-officier rutilaient sous l'éclat rubescent du crépuscule, assortis à la pourpre et grenat des cordons d'une volumineuse fourragère qui trônait à son épaule droite. Les gantelets en argent qui couvraient ses mains dissimulaient à merveille la nature robotique de ces dernières, incitant à croire que Gustav Trent n'était qu'un homme de forte corpulence. Soucieux de son apparence, coqueluche d'un monde aristocrate dont l'immense masse demeurait sur Terre en permanence, il s'était autorisé l'apport d'implant qui ne dénaturait pas ses traits. Ses deux yeux imitaient à la perfection des organes naturels, masquant une technologie de pointe derrière laquelle courraient des milliards et des milliards de cellules électroniques. Son cerveau, ses centres auditifs, ainsi que la majeur partie de son système nerveux n'existaient plus sous une forme vivante. La plastique de la silice et du verre avaient achevé de transformer l'amiral en une machine de commandement sophistiqué, un individu qui usait de son bon droit sur les hommes servant à ses cotés, au mépris de la convenance la plus totale. Un machiavélisme qui, tout en définissant le plus parfaitement l’individu, le rendait indispensable aux yeux des hautes instances de la Confédération. Aussi, tandis que Flinn le dévisageait, son sourire s'étira et s’étrécit en une mince bande de chair entrouverte, un malicieux regard le rendant moins antipathique et moins prévisible. Une raison supplémentaire pour le commandant de rester sur ses gardes.
- Commandant Flinn... Je vois que vous n'avez pas perdu de temps pour descendre de la navette. La Terre vous manquait tant que cela ?
- Vous n'imaginez pas, mon amiral.
- Voilà une très belle soirée qui s'annonce. N'êtes-vous pas de cet avis ?
- Si, mais j'aurais sans doute bien des affaires à régler avant de profiter de …
- Ne parlons pas de la paperasserie, coupa Trent. Accordez moi quelques minutes de votre précieux temps pour que nous réglions nos affaires. J'ai fait préparer un petit salon dans les bâtiments de l'astroport, nous aurons tout le loisir de nous étendre sur le sujet là-bas.
Pieds et poings liés, Flinn ne pouvait pas refuser l'offre.
- Je suppose que mes hommes sont invités à patienter ici.
- Tout comme les miens, naturellement, commandant.
- Alors je vous suis.
La tête haute, Trent ouvrit la marche. Après quelques minutes passées à zigzaguer entre les véhicules s'apprêtant à partir et les transports terrestres ondulant comme de grossières chenilles de métal, le duo pénétra dans le grand dôme couvert de poussière qui constituait l'unique bâtiment des voyageurs de l'astroport. Se présentant au garde en faction, Trent fut dirigé vers une pièce abritant quelques fauteuils et rafraîchissement disposés avec soin face à une baie vitré ouvrant sur l'ouest.
- J'imagine que vous ne m'invitez pas pour parler de météorologie, mon amiral.
- Etes vous donc si pressé, commandant ?
- D'en finir avec cette mission ? Absolument. Des semaines sans sommeil m'ont rendu maussade.
- Et visiblement prompt à oublier quelques détails... Car bien entendu, je tiens à laisser derrière nous une affaire propre et bien tenue.
Trent s'installa sans douceur dans un fauteuil. L'épaisse silhouette de Flinn écrasait la scène, dominant la pièce comme la seule certitude dans un monde où les paroles qui allaient voler dans l'éclat de la pièce ne serait que des intimidations et des menaces.
- Quelles sont vos conditions, mon amiral ?
- Des … Des conditions, commandant ? S'esclaffa Trent. Voilà une bonne blague … Vous n'avez donc pas compris ce qui m’intéressait au plus haut point dans cette mission ?
- Oh, si, bien sûr que si. Vous défilerez avec vos hommes en tête d'un cortège qui soldera votre triomphe dans la reconquête de Barnard Prime. Vous allez jouir de tout ce qui en découle, prestige pouvoir et argent, en nous demandant de ne pas éventer l'affaire sous couvert de je ne sais quelle nécessité d’État.
- Une vision bien pessimiste de votre investissement dans cette mission, commandant.
- Je ne compte pas vous doubler, ni vous manquer de respect, mon amiral. Mes hommes et moi-même nous contenterons de raccompagner la captive au Palais dans la plus complète discrétion. L'argent ne m’intéresse pas, ni le prestige.
- En revanche, le pouvoir, oui, répliqua Trent.
- Nous sommes deux dans cette partie, mon amiral.
- Mais il n'y aura qu'un seul vainqueur pour la Confédération. Sans moi, votre petit débarquement n'aurait été qu'un doux rêve d'Inquisiteur. Vous vous persuadez que votre ordre de mission vous a ouvert les portes, commandant ? Détrompez vous. J'aurais pû vous mettre aux arrêts dès votre premier retour à bord. Une insubordination est un bon motif, facile à justifier et à argumenter. Qu'aurait valu votre parole de Naneyë face à un haut-officier assermenté...
- Tel n'est pas le cas.
- Car j'en ai décidé ainsi. Aussi, la captive restera avec moi, et je la mènerai personnellement aux pieds du Très Saint Magister. Je vous remercie tout naturellement de votre pleine et entière coopération dans cette mission d'importance, mission qui a délivré du joug des ténèbres et du mensonge un monde aussi riche que peut l'être Barnard Prime.
Flinn observa la victoire couler sur le visage de l'amiral. Un sourire de conquérant l'animait, tandis que ses joues se plissaient, suivi de ce regard vif et assuré.
- Soyez heureux d'être seulement libre de retrouver une autre mission, commandant.
La phrase fit sourire Flinn. Il réprima un rire sonore, et se mit à arpenter la salle.
- Je me surprend de votre amateurisme, mon amiral.
- Amateurisme ? La pièce est brouillée. Aucune écoutez possible. Et je sais qu'aucun de vos cybernautes n'avait le matériel à bord pour fabriquer quoi que ce soit qui permettrait une telle chose.
- Vous ne voyez pas, mon amiral ?
- A moins d'être en relation directe avec le Très Saint Magister, ce dont je doute fort, vous n'avez aucun moyen de me coincer.
Flinn désigna son aug' .
- Revoyez vos brouilleurs. J'ai contacté Le Commandus Magnus en personne dès que nous nous sommes posé. Nous avons conversé par écrit, ce qui garantissait une bonne discrétion. Et notre canal d'écoute est tenu par une sécurité à toute épreuve.
Trent blêmit.
- Vous vous êtes trompé sur mon compte, mon amiral. Je n'ai fait que mon travail, et je n'ai désobéi à aucun ordre. En revanche, vous, vous avez commis une faute grave. Une entrave à mission prioritaire cela s'appelle, me semble-t-il, une tentative de haute-trahison. Et en entravant un Noble Clerc, vous avez semé une belle pagaille dans votre futur emploi du temps, mon amiral. Quel dommage que vous n'ayez pas retenu la leçon de l'affaire Nielsen. Un homme qu'on jugeait digne de confiance … Tremper à ce point dans des manipulations et des malversations envers le pouvoir central … Je frisonne à l'idée de ce qu'il a subit.
- Vous … Vous êtes une ordure, répliqua Trent, glacial.
- Je n'ai menti à aucun instant, mon amiral. En revanche, je doute qu'une cour de justice vous soit clémente lorsqu'elle apprendra vos liens de parenté avec cette chère Miki O'Hara. Quelle dommage, cette encombrante cousine qui a changé de nom …
- Vous ne vous en sortirez pas comme ça.
- Si, et d'ailleurs, en parlant de sortie, je vais vous faire ici même mes adieux, mon amiral. J'espère que vous saurez profiter du temps de liberté qu'il vous reste. Oh, ne vous inquiétez pas, vous l'aurez votre triomphe. Je ne vous ferrai pas l'affront de vous voler cet instant de gloire. J'espère juste que vous serez vous montrer digne de porter les fiers étendards de la Confédération.
Sans ajouter un mot de plus, Flinn laissa seul l'amiral Trent, assis sur son fauteuil, le regard vide, ruisselant de sueur.
Flinn avait oublié l'odeur du béton brûlé. Cette odeur à la fois douce et amère, aux relents de cuir, de métal vieilli et d'une légère – presque inexistante – note d'épice qui nappait l'air comme un sirop épais et gluant. Le soleil luisait, quelques centimètres au dessus de l'horizon, dans une torpeur turbide que ne ménageaient pas les réacteurs vrombissant d'un appareil au décollage. Il observa la machine s'élever dans les airs en ne bougeant pas d'un cil, fasciné malgré l'habitude, frappé par le miracle de la technologie qui arrachait loin du sol un équipage en direction de l'espace. « Il n'y a pas si longtemps, c'était moi, là haut, à leur place ». Une pensée étrange, qui le dérangeait autant qu'elle le rassurait.
La nuit, déjà, chassait l'odeur et la chaleur du jour. Une ombre s'étirait docilement, celle d'un mat de transmission qui venait à caresser la surface mat d'un hangar ouvert sur le sable du désert. Un ballet silencieux, éternel, qui ne cessa qu'à la chute complète de l'astre dans les tréfonds de l'horizon rougi par son aura. Une impression de mystère, à nouveau, étreignit Flinn, qui patientait et se réjouissait de l'attente que lui imposait le débarquement de ses hommes. Comme si le temps, tellement précieux, avait donné ses largesse à l'officier pour qu'il jouisse d'un instant étiré à une poignée de minutes, lui permettant de prendre les plus belles et les plus simples photographies mentales qu'il lui ait été donné d'observer. L'astroport de Civimundi-Sud n'avait qu'une banalité fade à offrir, un mélange haché de sable, de béton et d'acier s'affrontant sur un territoire qui, doucement, se desséchait. Il éprouvait avec difficulté ce qui s'était tenu là avant. Une « banlieue », des immeubles, des maisons, des magasins et des routes, le tout posé comme par la main distraite d'une puissance divine, aléatoire ordonnancement qui ruisselait d'une beauté et d'une utilité particulière. « Comment faisaient les Hommes avant ? ». Une question qui souvent revenait le hanter, lui qui n'avait qu'une très vague idée de l'histoire humaine et toute la période précédant l'hégémonie de la Confédération.
- Mon commandant ?
- Oui, Guillhem ?
- Mon commandant, ne croyez-vous pas que nous aurions dû faire … autrement ?
- Par rapport à quoi ?
- A l'amiral Trent, au rapatriement, à la chute de Port-Kristian, à … à tout ce qui vient de se passer.
Flinn se retourna, croisa les bras, et toisa son subalterne d'un œil sec. Guillhem, drapé dans une splendide cape d'apparat, perdit pourtant de sa superbe à la vue du visage dur de l'officier.
- Attendez un peu que le Très Saint Magister rectifie tout cela. Si Trent a fauté, il sera puni, et nous serons remis à la place qui nous convient.
- Mais, mon commandant...
- Il suffit.
Flinn n'avait pas haussé le ton de sa voix. La façon brute avec laquelle il avait prononcé ces simples mots coupa toute envie à Guillhem de continuer son argumentaire. Arrivé sur Terre depuis quelques minutes à peine, il souhaitait déjà que l'injustice manifeste dont il avait été victime soit jugé. Un point de vue, qui, visiblement, agaçait Flinn.
- Je sais très bien ce qu'il s'est passé et je vois très bien où tu veux en venir, reprit Flinn. Tu as parfaitement accompli ta mission, et comme je te l'ai promis, tu auras ce que tu mérites. Quant à ce qui m'attend, cela ne regarde que moi.
Prudent, Guillhem eut la sagesse de ne pas répondre. Il hocha la tête, et à son tour, se laissa surprendre par la beauté linéaire du paysage. Dans le grondement des appareils, la voix de chacun des Externes semblaient assourdie. Il reconnaissait pourtant à merveille le timbre de chacun. Seul dans un premier temps, l'adjudant sentit à ses cotés la présence ferme et rassurante de Randir. Le Naneyë s’éclaircit la gorge, forçant Guillhem à se retourner.
- J'ai tout suivi.
- De la conversation ?
- Oui, confirma Randir. Tu as cru bien faire, et c'est tout à ton honneur. Mais je ne suis pas persuadé que cela soit la bonne manière de faire entendre ton point de vue sur le sujet.
- Et vous comptez me faire la morale ?
L'agressivité de Guillhem l'incita à simplement hausser les épaules, et à s'éloigner. « Que me veulent-ils tous ? Nous nous sommes battus et nous n'aurons rien, c'est cela, notre récompense ? » . Il était malade à cet simple idée. Personne ne semblait s'apercevoir de la mascarade, ou du moins, chacun préférait abdiquer face à l'égo de Trent, sûr de son bon droit sur l'Ankara. Aussi, quand l'adjudant aperçu l'amiral surgir de la fumée enveloppant la navette, il choisit de s'éloigner pour ne pas entendre les sarcasmes de l'officier envers Flinn.
Le sourire étincelant de Gustav Trent semblait adresser à Flinn un parfait message d'avertissement. Un sourire de surface qui dévoilait une dentition parfaite, quatre minuscules canines sur des gencives grisâtres, loin des crocs long comme un pouce humain qui siégeait dans la gueule du Naneyë. Une invitation à la complaisance pour mieux mordre l'appétit de pouvoir qui dévorait les viscères du commandant, sagement remis à sa place par l'homme qui avait daigné le transporter, lui et ses hommes, vers une mission dont il s'apprêtait à tirer tout le prestige.
La solennité de l’événement à venir avait contraint, dans une obligation agréablement complaisante, l'amiral Trent à se vêtir d'une armure d'apparat et d'une cape dont le tissu flamboyait au soleil couchant. Les chevrons du haut-officier rutilaient sous l'éclat rubescent du crépuscule, assortis à la pourpre et grenat des cordons d'une volumineuse fourragère qui trônait à son épaule droite. Les gantelets en argent qui couvraient ses mains dissimulaient à merveille la nature robotique de ces dernières, incitant à croire que Gustav Trent n'était qu'un homme de forte corpulence. Soucieux de son apparence, coqueluche d'un monde aristocrate dont l'immense masse demeurait sur Terre en permanence, il s'était autorisé l'apport d'implant qui ne dénaturait pas ses traits. Ses deux yeux imitaient à la perfection des organes naturels, masquant une technologie de pointe derrière laquelle courraient des milliards et des milliards de cellules électroniques. Son cerveau, ses centres auditifs, ainsi que la majeur partie de son système nerveux n'existaient plus sous une forme vivante. La plastique de la silice et du verre avaient achevé de transformer l'amiral en une machine de commandement sophistiqué, un individu qui usait de son bon droit sur les hommes servant à ses cotés, au mépris de la convenance la plus totale. Un machiavélisme qui, tout en définissant le plus parfaitement l’individu, le rendait indispensable aux yeux des hautes instances de la Confédération. Aussi, tandis que Flinn le dévisageait, son sourire s'étira et s’étrécit en une mince bande de chair entrouverte, un malicieux regard le rendant moins antipathique et moins prévisible. Une raison supplémentaire pour le commandant de rester sur ses gardes.
- Commandant Flinn... Je vois que vous n'avez pas perdu de temps pour descendre de la navette. La Terre vous manquait tant que cela ?
- Vous n'imaginez pas, mon amiral.
- Voilà une très belle soirée qui s'annonce. N'êtes-vous pas de cet avis ?
- Si, mais j'aurais sans doute bien des affaires à régler avant de profiter de …
- Ne parlons pas de la paperasserie, coupa Trent. Accordez moi quelques minutes de votre précieux temps pour que nous réglions nos affaires. J'ai fait préparer un petit salon dans les bâtiments de l'astroport, nous aurons tout le loisir de nous étendre sur le sujet là-bas.
Pieds et poings liés, Flinn ne pouvait pas refuser l'offre.
- Je suppose que mes hommes sont invités à patienter ici.
- Tout comme les miens, naturellement, commandant.
- Alors je vous suis.
La tête haute, Trent ouvrit la marche. Après quelques minutes passées à zigzaguer entre les véhicules s'apprêtant à partir et les transports terrestres ondulant comme de grossières chenilles de métal, le duo pénétra dans le grand dôme couvert de poussière qui constituait l'unique bâtiment des voyageurs de l'astroport. Se présentant au garde en faction, Trent fut dirigé vers une pièce abritant quelques fauteuils et rafraîchissement disposés avec soin face à une baie vitré ouvrant sur l'ouest.
- J'imagine que vous ne m'invitez pas pour parler de météorologie, mon amiral.
- Etes vous donc si pressé, commandant ?
- D'en finir avec cette mission ? Absolument. Des semaines sans sommeil m'ont rendu maussade.
- Et visiblement prompt à oublier quelques détails... Car bien entendu, je tiens à laisser derrière nous une affaire propre et bien tenue.
Trent s'installa sans douceur dans un fauteuil. L'épaisse silhouette de Flinn écrasait la scène, dominant la pièce comme la seule certitude dans un monde où les paroles qui allaient voler dans l'éclat de la pièce ne serait que des intimidations et des menaces.
- Quelles sont vos conditions, mon amiral ?
- Des … Des conditions, commandant ? S'esclaffa Trent. Voilà une bonne blague … Vous n'avez donc pas compris ce qui m’intéressait au plus haut point dans cette mission ?
- Oh, si, bien sûr que si. Vous défilerez avec vos hommes en tête d'un cortège qui soldera votre triomphe dans la reconquête de Barnard Prime. Vous allez jouir de tout ce qui en découle, prestige pouvoir et argent, en nous demandant de ne pas éventer l'affaire sous couvert de je ne sais quelle nécessité d’État.
- Une vision bien pessimiste de votre investissement dans cette mission, commandant.
- Je ne compte pas vous doubler, ni vous manquer de respect, mon amiral. Mes hommes et moi-même nous contenterons de raccompagner la captive au Palais dans la plus complète discrétion. L'argent ne m’intéresse pas, ni le prestige.
- En revanche, le pouvoir, oui, répliqua Trent.
- Nous sommes deux dans cette partie, mon amiral.
- Mais il n'y aura qu'un seul vainqueur pour la Confédération. Sans moi, votre petit débarquement n'aurait été qu'un doux rêve d'Inquisiteur. Vous vous persuadez que votre ordre de mission vous a ouvert les portes, commandant ? Détrompez vous. J'aurais pû vous mettre aux arrêts dès votre premier retour à bord. Une insubordination est un bon motif, facile à justifier et à argumenter. Qu'aurait valu votre parole de Naneyë face à un haut-officier assermenté...
- Tel n'est pas le cas.
- Car j'en ai décidé ainsi. Aussi, la captive restera avec moi, et je la mènerai personnellement aux pieds du Très Saint Magister. Je vous remercie tout naturellement de votre pleine et entière coopération dans cette mission d'importance, mission qui a délivré du joug des ténèbres et du mensonge un monde aussi riche que peut l'être Barnard Prime.
Flinn observa la victoire couler sur le visage de l'amiral. Un sourire de conquérant l'animait, tandis que ses joues se plissaient, suivi de ce regard vif et assuré.
- Soyez heureux d'être seulement libre de retrouver une autre mission, commandant.
La phrase fit sourire Flinn. Il réprima un rire sonore, et se mit à arpenter la salle.
- Je me surprend de votre amateurisme, mon amiral.
- Amateurisme ? La pièce est brouillée. Aucune écoutez possible. Et je sais qu'aucun de vos cybernautes n'avait le matériel à bord pour fabriquer quoi que ce soit qui permettrait une telle chose.
- Vous ne voyez pas, mon amiral ?
- A moins d'être en relation directe avec le Très Saint Magister, ce dont je doute fort, vous n'avez aucun moyen de me coincer.
Flinn désigna son aug' .
- Revoyez vos brouilleurs. J'ai contacté Le Commandus Magnus en personne dès que nous nous sommes posé. Nous avons conversé par écrit, ce qui garantissait une bonne discrétion. Et notre canal d'écoute est tenu par une sécurité à toute épreuve.
Trent blêmit.
- Vous vous êtes trompé sur mon compte, mon amiral. Je n'ai fait que mon travail, et je n'ai désobéi à aucun ordre. En revanche, vous, vous avez commis une faute grave. Une entrave à mission prioritaire cela s'appelle, me semble-t-il, une tentative de haute-trahison. Et en entravant un Noble Clerc, vous avez semé une belle pagaille dans votre futur emploi du temps, mon amiral. Quel dommage que vous n'ayez pas retenu la leçon de l'affaire Nielsen. Un homme qu'on jugeait digne de confiance … Tremper à ce point dans des manipulations et des malversations envers le pouvoir central … Je frisonne à l'idée de ce qu'il a subit.
- Vous … Vous êtes une ordure, répliqua Trent, glacial.
- Je n'ai menti à aucun instant, mon amiral. En revanche, je doute qu'une cour de justice vous soit clémente lorsqu'elle apprendra vos liens de parenté avec cette chère Miki O'Hara. Quelle dommage, cette encombrante cousine qui a changé de nom …
- Vous ne vous en sortirez pas comme ça.
- Si, et d'ailleurs, en parlant de sortie, je vais vous faire ici même mes adieux, mon amiral. J'espère que vous saurez profiter du temps de liberté qu'il vous reste. Oh, ne vous inquiétez pas, vous l'aurez votre triomphe. Je ne vous ferrai pas l'affront de vous voler cet instant de gloire. J'espère juste que vous serez vous montrer digne de porter les fiers étendards de la Confédération.
Sans ajouter un mot de plus, Flinn laissa seul l'amiral Trent, assis sur son fauteuil, le regard vide, ruisselant de sueur.
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